Etapes - Poésies du Docteur Paul Goy

30 Novembre 1963 – 64ème Année – N° 3309
Le Crestois – Journal de la Drôme

Un poète de chez nous
Le Docteur Paul Goy

 Notre sympathique compatriote Le Docteur Paul GOY, dont l'attachement passionné au terroir est bien connu de tous les Crestois, vient de faire éditer ses œuvres complètes, actuellement en vente à « La Maison de la Presse », à Crest.

 D'une rare culture, avec sa plaquette « Les Poètes crestois de la ville de Crest-en-Dauphiné », éditée par Véziant frères en 1958, le Docteur Paul GOY, tout en chantant l'originalité et la saveur de la langue première des Crestoit, n'avait déjà pas seulement enrichi son folklore natal, mais prouvé aussi, par la même occasion, son indiscutable talent de poète et de fin lettré.

 La publication de cette plaquette ne fut que le prélude à l'édition de ses œuvres complètes et je ne saurais que les recommander chaudement à mes concitoyens avec toute ta vieille, solide et fidèle amitié qui nous lie tous les deux.

Charles ARMORIN, Maire de Crest


L'Œuvre poétique du Docteur GOY

 Quel que soit le ton qu'il choisisse, le Docteur PAUL GOY est tout ensemble un poète des plus délicats et des plus solides. En son œuvre s'affirment à la fois l'érudit ciseleur de poèmes hautement inspirés (des sonnets pour la plupart), le fabuliste déversant en des vers polymètres l'humour le meilleur et la satire la plus incisive; enfin le dramaturge classique, auteur de deux pièces de théâtre, l'une comique (une farce moliéresque en trois actes), l'autre infiniment grave, une tragédie (libre adaptation en vers de I'«ANTIGONE» de Sophocle).

Le Docteur Paul Goy au Rayol

 Ces trois oeuvres nous sont intégralement et très heureusement présentées dans trois beaux volumes que viennent de publier presque coup sur coup les « Editions de la Méditerranée » d'Avignon.

 C'est une sorte de SOMME poétique et philosophique élaborée depuis de longues années et dont il faut se féliciter que, par les soins d'un éditeur très averti, elle devienne accessible à tous.

 « ETAPES » (sonnets et poèmes) (1) le premier volume, est fait du cheminement des états d'âme du poète, avec ce que cela suppose d'incertitudes, d'affirmations, de négations, de paradoxes, de joies et de tristesses. L'ensemble du recueil est comme traversé d'ailes et de mains jointes, et la Poésie y baigne dans une atmosphère d'aubes et de crépuscules, de méditations émouvantes (tantôt verlainiennes, tantôt baudelairiennes, mais toujours personnelles) et dont l'horizon, s'il s'embrume souvent des regrets de l'enfance, s'illumine aussi des clartés magnifiques d'un grand amour, ou du flambeau ces martyrs, victimes de la cruauté et de l'intolérance des hommes. «Etapes » est la manifestation d'une sensibilité originale, mais en même temps universelle, dont le rythme ne saurait manquer d'éveiller l'intérêt et la sympathie de tous ceux qui cherchent dans l'acte poétique, autre chose qu'un feu d'artifice d'aphorismes et de syllabes.

 Avec « CONTES ET FABLES » (2) le Docteur GOY semblerait avoir opté pour l'aventure, s'il était vrai, comme le prétendent certains, que le genre ne saurait être de bonne diffusion. Mais au pays de La Fontaine et de Florian, la Fable et le Conte en vers, n'ont jamais, quoi qu'on dise, souffert de la moindre disgrâce, à condition qu'on désigne au public des œuvres d'une facture prosodique de qualité et d'un humour hautement profond sous son allure légère et désinvolte. Nul ne pourra douter de cette possibilité, après avoir lu et relu ce recueil de « Contes et Fables » placé à si juste titre par son auteur, sous le signe de Térence : « Homo sum et nihil humani a me alienum puto ». Cette merveilleuse floraison de poèmes est digne des meilleurs spécialistes du genre. Elle se lit avec le même plaisir qu'on éprouve à se délecter des Fables les plus accomplies du grand « Bonhomme » champenois, puisant d'ailleurs une inspiration très personnelle dans les spectacles de la vie contemporaine, et sous ce rapport elle ne doit rien aux productions analogues de l'Antiquité.

 A ces deux aspects de la « manière du Docteur GOY («Etapes» d'un art si profond et si raffiné ; «Contes et Fables» où se déploie, sans jamais verser dans l'égrillard et l'érotique de mauvais aloi, une verve gauloise ou rabelaisienne de haute saveur) s'en ajoute donc un troisième : La littérature dramatique.

 Le Docteur GOY a réuni, dans une belle plaquette, d'un format et d'une présentation qui en facilitent grandement la lecture, deux oeuvres dont on peut dire qu'elles reflètent, à des titres divers, les qualités maîtresses d'«Etapes» et de «Contes et Fables ».

 «LE MARIAGE DE TOINETTE ou L'ECOLE DES MEDECINS» (3) est une farce moliéresque en trois actes hautement poétique sous sa donnée comique et qui fait vivre côte à côte, de nos jours, dans une atmosphère de préoccupations médico-psychologiques très XXe Siècle, certains personnages de Molière (Argan, Toinette, Scapin), un mystique hindou (Abramar) s'égarant dans les rêves fumeux et morbides d'un végétarisme insensé et un jeune médecin (le Docteur de Saint-Honey) notre contemporain, pétri de sagesse, d'équilibre et d'humour, et entendant montrer que la prudence, le bon sens et, en cas d'échec, les rêves paisibles et poétiques du sommeil, sont les seules armes vraiment efficaces contre fa maladie et la souffrance.

 Dans « POLYNICE » le Docteur GOY reprend la trame de l'«Antigone» de Sophocle, mais en fait néanmoins une création originale, en donnant au personnage de la reine Eurydice, à peine entrevue dans Sophocle, une densité psychologique telle, qu'elle apparaît comme une déchirante incarnation du double amour conjugal et maternel. Et si, dans «Le mariage de Toinette» le Docteur GOY nous offre des tirades moliéresques fort pertinentes, il nous restitue souvent dans «Polynice» la langue harmonieuse et profonde de Racine, et plus près de nous, le lyrisme symboliste de Moréas ou certains couplets de bravoure de Rostand, et cela sans les plagier jamais.

 Etant donné que ces deux oeuvres dramatiques n'ont pas encore été portées à la scène, il est difficile de formuler à leur sujet un jugement complet ; mais ce que l'on peut affirmer, c'est que du point de vue littéraire et psychologique, la lecture en est des plus attachantes. Ne serait-ce qu'à ce titre seul, elles se recommandent à l'attention des lettrés et des artistes, sans pour autant cesser d'être accessibles (et c'est là une des qualités remarquables de toute l'œuvre poétique du Docteur GOY) aux esprits de moins vaste culture, mais que leur instinct du Beau et du Vrai, attire vers des œuvres littéraires parées de musicalité prosodique, de noble langage et d'humour.

 (Les «Editions de la Méditerranée», d'Avignon).

(1) 1 volume orné d'un portrait à la sanguine de Marie Durand, 10 Frs + port 1 Fr.
(2) 1 volume 10 Frs -f- port 1 Fr.
(3) 1 volume 10 Frs -f port 1 Fr.
Chez l'auteur, Le Rayol (Var), et dans les principales librairies de Paris et de Province.


QUELQUES COMMENTAIRES..

ETAPES

I

 «Cette œuvre révèle une surprenante fécondité et assure à son auteur une place très originale dans la poésie traditionnelle où l'Amour conjugal n'a guère été traité. «Etapes» est très émouvant, comme témoignage d'un homme qui est d'une Foi et d'un Pays».

(P. S., Agrégé Lettres).

II

 «Pourquoi donc est-ce que j'ai pris un intense plaisir à vous lire ? Parce que j'ai deviné en vous le vrai poète qui sait parler aux hommes et aux choses et qui sait les entendre parler. Tout vibre, tout résonne, tout chante ou pleure sur les chemins que vous suivez. C'est le signe d'une âme sensible aux échos et aux reflets de la Terre et du Ciel. Et c'est en cela que consiste la Poésie. Et au si au surplus vous savez manier notre incomparable langue. Vous taillez dans la masse des mots des figures qui expriment les sentiments de l'âme. Cela doit être pour vous une source inépuisable de bonheur délicat et c'est pour votre lecteur un grand bienfait».

E. A. Pasteur, homme de lettres.

III

 «II y a en vous (sans le moindre plagiat) la perfection formelle des Parnassiens, la connaissance intérieure des choses des symbolistes, l'imagination, mais mieux disciplinée, des romantiques et la liberté (mieux disciplinée aussi) des grands modernes (Péguy, Claudel). En vous relisant je sentais passer le souffle aux harmonies si bien fondues de Sully Prudhomme et de Leconte de l'Isle, d'Anna de Noailles et de Mallarmé, de Mercier et de Mistral. Enfin c'est une synthèse, mais très personnelle, de tous les plus grands. Parfois c'est la pensée très haute, à la fois fière et humble qui jette dans cet Infini mystérieux qui nous attire et nous angoisse, des coups de sonde, des appels qui ne sauraient rester sans répartie ; tantôt c'est la magie des mots (adjectifs inattendus comme ceux d'Estaunié, verbes très forts dans leur son et leur sens) et pour l'ensemble c'est la lumière attique qui enveloppe ces œuvrettes, sorties des mains d'un ciseleur obstiné. Vraiment vous nous avez donné des heures de joie toute désincarnée, toute lumineuse de votre ciel méditerranéen, toute chantante de votre mer harmonieuse ».

(G., Docteur en philosophie).

IV

 «Les deux regards de l'homme qui caresse la beauté du monde visible et qui interroge la destinée humaine souvent cruelle nous livrent ces vers empreints de sagesse antique et d'espérance chrétienne. En refermant le volume nous disons avec reconnaissance : « Une belle chose est une joie pour toujours ».

O. E.

CONTES ET FABLES

V

 Le Docteur Goy est d'origine protestante. Une lectrice qui fut la plus jeune agrégée de France et accomplit une brillante carrière universitaire, lui écrit :

 «Je me suis abondamment délectée de vos histoires, huguenotes ou non. Je vous rappelle à ce propos le mot de mon maître Gustave Lanson: « Un bon huguenot français, cela n'exclut pas la veine de gauloiserie. Je dirai même que ça la suppose ». Médecin et huguenot (même un peu mécréant) vous aviez d'illustres devanciers dans l'art de percer à jour les bien pensants et de crever du même coup quelques baudruches. J'admire votre art (qui fut celui de nos vieux conteurs) de faire attendre le mot de la fin et d'y loger un pétard. Bien contrefaits les esprits déjà vitupérés par Rabelais, qui ne sachent s'y esbaudir. Vous évoquez évidemment La Fontaine et rendez hommage à son vers, avec de gaies trouvailles de rythme et de rimes et aussi cette allure un peu nonchalante et dispersée du récit, voisine de celle de ses Contes lesquels ne se piquaient point de brièveté. Et vous avez mis dans ce moule toujours efficace, l'expérience d'une vie où, à travers les gens multiples dont il a repéré les ridicules avec délectation, on finit par discerner assez bien le portrait de l'auteur : un grand cœur naturellement, comme tous les rieurs»,

(J. M., Agrégé Lettres).


…ET QUELQUES EXTRAITS

CRÉPUSCULE MARIN

Un halo se précise et nimbe les collines ;
Leurs dômes, lourds joyaux dans l'azur enchâssés
Couronnent de halliers, aux verts jamais lassés
Une mer sans remous q'un bleu jade enlumine.

Subtil réseau d'argent, d'or et d'aigue-marine,
Puis large crescendo de pastels nuancés,
Le halo s'embrasant, tumultueux, dessine
Un océan de pourpre, et trop vite effacé.

Le phare voit mourir l'éclat da la journée ;
... Sur la trace indécise et morne des chemins,
Les couples vont, certains entrelaçant leurs mains,
D'outrés indifférents, face à la destinée,
Mois tous guettant le seuil, où la lampe allumés,
Reste le tabernacle offert au couple humain.

(ETAPES, Sites et Perspectives)

LE CURÉ, LA FILLE ET LES MORTS

  Dans une église de Provence,
  Un curé digne apparemment
  Confessait, certain soir d'Avent,
  Les gens en mal de pénitence
Que la peur de l'enfer en ces lieux attirait.
S'approche Madelon — port digne, beau visage —
Mais qui gardait empreint aux courbes de ses traits,
  D'un brûlant souci, le ravage.
«Parle net, mon enfant, et me dis ton secret!
Mon père, j'ai péché et suis fort indécise.
J'ai trois galants hélas ! et ne sais par ma foi,
  Dans l'espérance où je me vois.
Auquel des trois je dois imputer la sottise.
  Je viens pour confesser mes torts
  Et demander ce qu'il faut faire ? »
— Ma fille, sois en paix, et ne te soucie fort !
  Des galants, ce n'est plus l'affaire.
Ayant dit trois Ave, puis deux Confiteor,
Les galants, désormais, tu vas bouter dehors.
Et Dieu, ne voûtant pas que fille désespère,
Du petit, entre nous, je serai le grand-père.
… Ces choses-là n'arrivent pas aux morts ! ».

(CONTES ET FABLES)

Le docteur goy travaille a un poème
Le Docteur GOY travaille a un poème

LE CHŒUR DES AÏEULES

Des aïeules, Pallas ! reçois ici l'hommage !
Les tourments ont creusé de rides nos visages,
Et nos yeux desséchés se refusent aux pleurs !
Nous avons vu la peste engendrer la terreur,
Puis la Guerre bientôt, exaltant la fureur,
Sur Thèbes déchaîner malheur après malheur !
... L'épouse inconsolable, avant l'heure succombe,
Et l'enfant qui devra survivre à l'hécatombe,
Ignore., d'un foyer, l'attentive chaleur !
… Vieillies et consumées au creuset des douleurs,
Nous t'apportons, Pallas, des berceaux et des tombes !
Ah ! qu'en manne de paix, sur nos maisons retombe
Tant d'injuste souffrance et de bonheur perdu !
Bientôt vienne le jour où les craintives mères
En étreignant un fils à leur cou suspendu,
Cesseront de penser qu'il leur est défendu
De rêver, pour ce fils, des heures plus légères !
… Pallas ! qu'en t'implorant, l'espoir nous soit rendu !

(POLYNICE)

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